
La République Des Pyrénées - 29
Novembre 2006
PAU
· Evènement Accès(s) avec l’exposition ludique
et ironique à l’école supérieure des arts et de
la communication.
Robots pour être vrais
La jeune artiste France Cadet montre les crocs pour dénoncer l’eugénisme, les expérimentations animales et le clonage.
Le clonage, l’eugénisme, les expérimentations animales... Pour dénoncer ce magma scientifique parfois terrifiant, l'artiste France Cadet a choisi l'ironie et les formes ludiques. Dans la galerie Sagace de l'école supérieure des arts et de la communication, et à l'initiative d'Accès(s) (s), elle expose jusqu'au 15 décembre des chiens robots manipulés par ses soins pour mieux mettre en garde contre les dérives de notre société et de la science.
« Je n'ai pas une attitude militante » se défend pourtant la jeune et jolie femme de 35 ans, qui a gardé une allure de gamine. Le carré noir et plombant, la lèvre discrètement percé d’un anneau, France Cadet n’est pas du genre à se fondre dans la masse. Sa forte personnalité et le pressentiment qu’elle ne s’épanouirait pas dans cet univers l’incitent à envoyer balader ses études de sciences, entamées pour devenir ingénieur. « Plus que la matière, je trouvais les gens ennuyeux », sourit-elle.
Moustache ou cornes de vaches.
Cette fille du sud rejoint alors les Beaux-arts et intègre l’école d’Aix-en-provence, la seule en France à posséder un atelier de robotique. C’est là qu’elle enseigne aujourd’hui. « la science et les Beaux-Arts ne sont pas si éloignés », insiste-t-elle. « On repose les problèmes différemment. Ce n’est plus du tout antinomique ». Surtout pas pour elle.
Même si elle revendique la coupure radicale dans ses études, France Cadet est rattrapée par ses premières amours : « Il me manquait quelque chose : tout ce qui a trait à la médecine, à l’animal ». Elle imagine alors l’expérience Dog[LAB] : une galerie de robots chiens dont elle ouvre le ventre pour les pirater, télécharger un programme particulier, avant de modifier leur aspect extérieur à coup de peinture, ou en ajoutant une moustache ou des cornes… jusqu’à faire de chaque chien une créature hybride, dénonçant une pratique scientifique.
« Animal de compagnie et réserve d’organes »
« toutes les références sont réelles : elles se rapportent au clonage, à l’expérimentation animale, ou à des expériences réalisées par des artistes et dénoncées par la société », commente France Cadet.
Possédant à égalité les caractéristiques d’un chat et d’un chien, « Copycat » met ainsi en garde contre la pratique industrielle du clonage des animaux familiers, qui se développe aux Etats-Unis. Moyennant finances, le maître d’un animal peut ainsi obtenir son double… a la fois chien, brebis, vache et mouton, « Dolly », qui se tortille jusqu’à la mort, rappelle l’aventure de la première brebis clonée et le spectre de la maladie de « la vache folle ».
Plus loin, c’est schizodog partagé entre deux têtes antinomiques, qui illustrent les problèmes psychologiques. A ses côtés, tourne en boucle le programme « Xenodog » : à la fois chien et porc, il parle de la transplantation d’une espèce sur une autre : « est-ce un animal de compagnie ou une réserve d’organes », s’interroge l’artiste qui dénonce aussi à travers « Flying Pig » et « GFP Puppy » l’accueil réservé à certaines manipulations d’artistes, alors qu’elles trouvent un écho positif lorsqu’elles sont utilisées dans le monde scientifique : la troisième oreille greffée sur sa peau par l’artiste Stelarc, ou le lapin fluorescent « Alba » d’Eduardo Kac, également appelé « GFP Bunny », en référence à la Green Fluorescent Protein. « On a crié au scandale parce qu’il s’agissait de projets artistiques », s’insurge France Cadet. Ces robots chiens ne laissent pas le public indifférent. « Les gens projettent sur eux leurs émotions. Certains me soutiennent qu’ils ont réagi, parlé », s’amuse la jeune femme. Ils les évoquent comme des êtres de chair et de sang : « Ils me disent : « Il s’est fait mal », jamais : « Il s’est cassé » ».
Après ce projet Dog[LAB]01, France Cadet va continuer à explorer cet outil d’expression : elle imagine déjà une meute de clone Dolly pour dénoncer d’autres pratiques scientifiques. Les chiens robots vont garder leur mordant.
Accès(s) a créé un événement en organisant
avec l’ESAC cette exposition de Chien robots, plébiscités
dans des expositions à l’étranger. Ils reviennent ainsi
du brésil, friand de ces nouvelles technologies.
CARESSER POUR MIEUX TUER.
A côté de sa galerie de robots chien, France Cadet expose des sérigraphies de ses créatures hybrides, et propose au public de s’initier au jeu en réseau « Quake III » qu’elle a détourné, comme beaucoup d’artistes. « Le seul but, c’est de tuer son adversaire », résume la jeune femme. Elle s’est amusé, en fabriquant une interface, à renverser la logique du jeu, où les joueurs en arrivent à taper fort sur leur clavier.
Avec sa version très originale,
les joueurs doivent apprivoiser un dôme noir et apprendre à le
caresser le plus doucement possible pour tuer le plus de personnes…
« Il y a toujours l’ironie du jeu et la manière ludique
d’aborder le problème », sourit France Cadet. « J’injecte
quelques grames de finesse dans ce monde bruts.. », rigole encore la
jeune femme, qui se réjouit d’établir ainsi une interaction
avec le public.
< www.doglab.net >
K.R.